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Congo, de Brazzaville à Kinshasa : la « Sape » en religion et en partage !

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On a eu la S.A.P.E (Société des ambianceurs et personnes élégantes) avec Papa Wemba, le « 7 fois grand prêtre », immortalisé comme le « pape » du mouvement ;  puis la Sapelogie avec Ben Moukacha, « le chantre de l’harmonie en trois couleurs ». Maintenant, c’est la Posologie (Peaux-sologie) avec le « grand imam de la sape en croco et python, Ahmed Isidore Cyriaque Yala.

Avec des amis ivoiriens tels que Marc Avenier, Cardinal Ekumany, Jojo Armani et Isaac Avy, adeptes du mouvement ; nous sommes invités en mars 2019, au Festival de la Sape de Brazzaville. Mais l’occasion est idoine pour nos compagnons et nous en premier, de sonder de l’intérieur, la portée de ce phénomène social hors-norme. Et, trois années après la disparition de l’icône Papa Wemba, l’occasion est saisie pour un pèlerinage au Congo-Kinshasa voisin.

Dès notre arrivée, le 7 mars 2019 à Brazza, nous sommes rejoints par Del Papo, créateur de mode de la Sape et de la Sapologie. Au point d’être , l’habilleur privilégié de Papa Wemba.

A la 3e édition du Festival de la Sapologie féminine de Brazzaville, Del Papo a montré le raffinement, l’idéologie et l’attitude du Sapeur vrai.

Brazzaville, capitale de la République du Congo, aéroport international de Maya Maya, 00h20 (23h20 TU), mercredi 8 mars. En compagnie de la délégation ivoirienne de la Sape (Société des ambianceurs et personnes élégantes), nous sommes accueillis par une centaine d’adeptes de la Sape du Congo, sous la houlette du « Grand imam » Ahmed Isidore Cyriaque Yala, président de la Sape du Congo, « Champion du monde en croco et python », président du comité d’organisation du Festival de la Sapologie féminine. Mais aussi de nombreux autres venus de la RD Congo voisine, des diasporas des deux Congo, d’Europe, d’Asie et d’Amérique. Mais, en cette Journée internationale des droits de la femme qui sous-tend l’organisation du Festival, le 8 mars, c’est la plantureuse star ivoirienne des réseaux sociaux aux rondeurs plus que généreuses, Eudoxie Yao, qui, en tant qu’invitée spéciale des Sapeuses congolaises, est assaillie par tout l’aéroport. Fan-club avec banderole à l’appui, à l’instar des Sapeurs ivoiriens qui ont des supporters, du reste, à Brazzaville. Un indicateur qui nous situe sur ce que devrait être la grande parade de l’après-midi sur l’esplanade de la Préfecture. Ainsi que la soirée-gala de distinction à Olympic Hôtel.

La Sapologie sur le « T » à Brazzaville

La Sapelogie ou encore Sapologie, est un état d’esprit, une attitude vestimentaire qui s’est érigée comme un mouvement d’identité vestimentaire congolais qui  réinvente les codes de la mode, il ne s’agit pas d’un mouvement spontané et éphémère. La Sapelogie prend ses horizons originels durant l’ère coloniale et, devient une identité pour le pays , autour de la décennie 70.

 

Hôtel des Sapeurs

Après une très courte nuit, le Saphir Hôtel rebaptisé « Hôtel des Sapeurs » après trois éditions du Festival se réveille dans un tintamarre indescriptible.

Des défis croisés entre Sapeurs ou entre délégations, le tout aux sons de stridents décibels de rumba. Mais principalement sur la musique de Papa Wemba, le « Pape » de la sape qui, trois ans jour pour jour, en tant que parrain, effectuait ainsi son adieu à Brazzaville, la ville dont il a hérité les codes de la Sape avec des amis à Paris avant de les exporter dans son Congo (Kinshasa) , en Afrique et dans le monde !

Il est 16h, l’imposante cour de la Préfecture, bondée de quelques 10 à 15 000 Brazzavillois « privilégiés » et presque le double agrippé aux grilles, dans une ambiance carnavalesque, assistent au défilé des Sapeuses; qui arrivent en mode masculin avec costard, mocassins et feutre, ou en jupe, tailleur et hauts talons alliant charme et élégance. Puis se succèdent sur le podium, des délégations les grandes régions du pays (Pointe-Noire, Oyo, Dolisie, Brazzaville…), de la RD Congo, de France, du Japon.

Mention spéciale au jeune loup de la diaspora brazzavilloise à Paris, Fuluzioni Daluzoni, le Tatazambé, le Noé dit le Congota ou le Poutine.

A l’applaudimètre, les Ivoiriens battent tous les records. D’autant plus que leurs tenues très « In » et flashy sont coupées dans des matières comme le pagne et le kita, avec à la clé, des accessoires dont les dandys ivoiriens maîtrisent l’alchimie esthétique. Dans le même élan, le créateur de mode français, Del Papo, habilleur officiel de la Sape en compagnie de son assistant, séduisent le public. La clameur monte d’un cran quand le public aperçoit le bolide du président de la Sape au Congo. Il est connu  pour son atypique tendance reptilienne. Lui, c’est « le Grand Imam » de la Sape, toujours en croco et python de la tête aux pieds, Ahmed Isidore Cyriaque Yala. Mais pour ce jour, le nec plus ultra, c’est la cravate, autant que les vêtements du grand Imam, qui sont des pièces uniques.

Sa cravate d’or en lamelle vaut 500 millions de FCFA ! Point égoïste ou plongeant dans un narcissisme béat, cet homme est adulé par toute la jeunesse brazzavilloise pour sa générosité débordante.

Pour Inès Bertille NeferIngani, Ministre de la Promotion de la femme et de l’Intégration de la femme au développement, marraine de l’événement, « la Sape est un patrimoine culturel immatériel congolais. invité toutes les femmes congolaises et africaines de s’approprier le phénomène de la Sapologie, à la faveur du Festival  le 8 mars montre qu’au-delà de l’égalité des genres que sous-tend l’attitude vestimentaire, à s’inscrire dans la quête d’une qualité de vie, va de pair avec une autonomisation », battant en brèche les préjugés selon lesquels « Les Sapeurs sont des voyous ». Selon Ben Moukacha, chercheur congolais vivant en France, qui a effectué plusieurs voyages d’études à Abidjan, « s’il est vrai que le Congo a créé la Sape, il est tout aussi vrai que la Côte d’Ivoire est devenue sa terre d’émergence, au-delà de Paris, Bruxelles, Milan ou Tokyo où elle a des adeptes ».

Pour en revenir à la gent féminine à l’honneur, le lendemain, toute la jet-set brazzavilloise s’est donnée rendez-vous sur la terrasse du M’Bamou Radisson Blu pour la grande exhibition des Sapeuses sur des airs de Papa Wemba, et se préparent pour le lendemain, où elles feront la révérence au « 7 fois grand prêtre » de la sape Papa Wemba, mais aussi à sa veuve, Maman Rose Amazone.

Hommage à Papa entre « Terre et Ciel » à Kinshasa…

En nous rendant à Brazzaville pour le Festival de la Sapologie féminine, nous avions fait le deuil de pouvoir nous rendre à Kinshasa au Congo démocratique voisin pour nous incliner sur la tombe du Pape de la Sape, Papa Wemba. Car les démarches de visa en aval n’ayant pas abouti, il aura suffi d’un coup de fil à l’honorable Zacharie Bababaswe, sénateur de la nation, ancien journaliste, magnat de la presse en RD Congo et mécène du showbiz de renommée internationale, pour que tout se décante. L’élu, en effet, du fait de l’état de convalescence de Maman Amazone qui ne pouvait se rendre à Brazzaville, en tant que présidente d’honneur du Festival, s’est fait fort d’accélérer l’obtention de « visas volants » pour les Ivoiriens et Français que nous étions.

Le 10 mars, au petit matin, avec une trentaine de festivaliers, nous voilà au Beach du Port autonome (fluvial) de Brazzaville. Au prix de moult tracasseries, nous embarquons à bord d’un bateau-bus spécialement affrété par le député congolais de Kinshasa pour une traversée d’à peine 7 minutes.

Kinshasa, Kin-la-joie ! La gigantesque mégapole de 18 millions d’habitants ! Nous sommes accueillis par notre hôte, très détendu et heureux de recevoir et (re) voir ses « frères ivoiriens ». La délégation se rendra à la Nécropole et fera ses civilités à la veuve du Maître Wemba. A peine sortis du Port, des centaines d’autres sapeurs de la région, rejoignent le cortège.

« Rien ne révèle mieux l’âme d’un pays que ses cimetières »

Majestueux et érigé, dans l’esprit du Panthéon à Paris (France), le cimetière des personnalités dit la Nécropole « Entre Ciel et Terre » et qui accueille papa Wemba depuis une année invite dès son entrée à la méditation métaphysique voire théorétique. Ne serait-ce que par cette épitaphe générale, extraite d’une citation de Bertrand Beyern, fondateur de la « nécrosophie », philosophie dont il est le créateur :«Rien ne révèle mieux l’âme d’un pays que ses cimetières ».

Honneur et gloire ont donc été rendus au Pape de la Sape par nos compagnons et nous, estampillés du titre de « Eléphants-sapeurs », ainsi que nos homologues Léopards et Diables rouges.

Chancelier Mabonda, qui possède des malles entières de vêtements et de chaussures, explique que la mort de Papa Wemba est «  un coup dans le cœur des Sapeurs ». « On n’arrive pas comprendre », poursuit le président du groupe de sapeurs Léopards.

La « Prière du Sapologue », les trois premiers commandements du Sapelogue est dite par Ben Moukacha, son concepteur.

Prière du Sapologue

Premier commandement : Tu saperas sur terre avec les humains et au ciel avec ton Dieu créateur. Deuxième commandement : Tu materas les ngayas (non connaisseurs), les nbéndés (ignorants), les tindongos (les parleurs sans but) sur terre, sous terre, en mer et dans les cieux.

Troisième commandement : Tu honoreras la sapelogie en tout lieu ».

Après Wemba, les autres icônes de la musique, Tabu  Ley Rochereau, King Kester Emeneya, Kabasele, Pépé Ndombe, voient leurs tombes marquées de haltes pour de brèves prières.

Sur le chemin du retour, anticipant d’éventuels embouteillages, et en toute humilité, Maman Amazone nous joint par téléphone pour nous dire qu’elle nous  retrouverait au Beach afin de nous éviter des désagréments quant au retour sur Brazzaville. On frise l’émeute quand la veuve de Papa Wemba descend de son véhicule dans la zone portuaire. Entre étreintes, larmes et confidences, l’émotion est à son comble. Spécialement avec Ekumany qu’elle a adopté, et qui était l’une des dernières personnes à aux  côtés de son époux à Abidjan avant son décès et avec Sodios Sengola, ami de longue date de son époux, originaire de Brazzaville et qui fut son tuteur à Paris, et avec Stervos Niarcos, ombre tutélaire du mouvement.

La flamme de l’idéologie kitendiste et le mythe de Niarcos

S’il est établi que la culture de la Sape est établie au Congo-Brazzaville depuis l’ère coloniale en s’érigeant comme une forme de contestation politique par la récupération esthétique occidentale, son acception moderne qui date de la fin des années 1970, est sous-tendue par une idéologie dont Papa Wemba fut l’un des chantres. Ainsi, sa mythique chanson, « Proclamation », écrite par son mentor Niarcos, un personnage adulé et controversé à la fois, a fait plus d’émules que toute autre tablette idéologique. Et ce, visant à inviter tous les jeunes expatriés en Europe à travailler, se bâtir un avenir en pensant au pays, tout en soignant et assumant son statut de Sapeur.

Jugez-en vous-mêmes : « Tongoetaniee, mokanda moye eebabotiiboyokalisituale.       Yo na mputu, kelasi tee, y’obetilibanga, y’ozwimotete, y’osombibilamba, y’owelisimbangukokendeba vacances, ee Po basiibalandakayo o, po balobakawana Parisien, wana y’omoni a succès, nzoka na mputu, eza examen, jour a proclamation o na Kinshasa, jour a proclamation o na CFA. Na Mokilibaningangotobongisa, tozaliba passagers ngotoyokanaka. Tango Stanley ayaka na Kinee, akutanaka na koko na ngai e. Koko Ngaliema (…) ».

Traduction du lingala en français : « Quand vient le matin, une correspondance survient. Chers parents, apprêtez les oreilles pour entendre ce récit : Toi qui es établi en Europe sous le statut d’étudiant, en réalité, tu ne l’es pas. Tu « casses la pierre » et gagne un peu d’argent. Cela te permet de garnir ton garde-robe et d’arrondir ta valise. Et d’un réflexe irréfléchi, tu vas passer tes vacances au pays. Tout pour que des femmes t’envient, qu’elles disent chemin faisant : Voilà le Parisien. Dans ton entendement, c’est cela le succès. Pendant ce temps dans ton pays d’accueil, le calendrier (d’enseignement supérieur) prévoit des examens. Quand vient la proclamation, te voilà à Kinshasa. Quand vient la proclamation, te voilà à CFA (entendez Brazzaville). Dans ce monde, mes chers frères, entendons-nous. Dans la mesure où nous sommes des passagers ici-bas, assumons-nous ».

Sodios Sengola, pionnier de la Sape congolaise qui a été distingué pour ses nombreux témoignages sur les artistes musiciens Papa Wemba, King Kester Emeneya et ses compagnons, demeure un témoin de l’idéologie du mouvement. Ce congolais de Brazzaville, alors « petit » de Stervos Niarcos (quoique moins âgé qu’eux) qui a formé ces deux ténors notamment à la connaissance vestimentaire, indique, soutenu en cela par Souris Cacharel, lui aussi pionnier du monde de la Sape, que Wemba a été décisif. Ajoutant une certaine morale aux principes de Niarcos. Et de nous livrer un pan de la vie de ce dernier, une sorte de Robin des bois des temps modernes.  Niarcos, dit-il, aimait bien des habits coûteux et des voitures hors-séries. Et Sodios d’affirmer que « depuis son jeune âge, Niarcos roulait dans la voiture de marque Impala que le gouvernement congolais offrait à ses ministres. Il fut d’ailleurs le premier à amener une Porsche à Kinshasa. Il sied de signaler que les jeunes du Congo Brazzaville étaient les premiers à s’inspirer de ce mouvement avant qu’il ne devienne une idéologie ». Et de poursuivre que si Wemba n’avait pas un charisme personnel et sa voix unique, il n’aurait été une star, tant son mentor était reconnu pour être un compositeur doué et d’une influence considérable.

 Une fin tragique

Strervos Niarcos a vécu entre Kinshasa et l’Europe. Il est décédé le 10 février 1995 à Paris, à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière alors qu’il était détenu à la prison française de la Santé de Fresnes pour une affaire de drogue. Chaque année au mois de février, les sapeurs de tout bord, Kinshasa, Brazzaville, Matadi et même Abidjan et Paris se donnent rendez-vous au cimetière de la Gombe à Kinshasa pour commémorer l’anniversaire de leur idole.Autant de faits qui font que ce mouvement peut tour à tour plaire, intriguer ou susciter la désapprobation. Faut-il le prendre au sérieux ou tout simplement en rire ? D’abord la Sape qu’est-ce que c’est ? Et les sapeurs qui sont-ils ? Qui sont ces trublions de la mode, ces néo-dandys, qui divertissent la population en flânant fièrement sur les artères de Brazzaville créant l’événement à chacun de leur passage ? Oui, qui sont-ils pour qu’une cohorte d’enfants admiratifs scandent leurs noms ? Puis de vous à nous, peut-on s’autoproclamer « sapeur » ? Comme vous le voyez, il y a beaucoup de questions en suspens.

De la trilogie des couleurs

En effet, au-delà de sa dimension philosophique, le Sapeur authentique, membre de la Sape a des codes très stricts à respecter : comme celle de ne jamais dépasser 3 couleurs par tenue. Il y a tout un art de s’habiller et s’approprier les couleurs selon les différentes situations : Soirées, mariages, baptêmes, obsèques … Un genre de guide du « savoir-s’habiller » plutôt implicite. Un sapeur se démarque également par sa façon de se tenir et sa gestuelle. Vous serez d’abord intrigué par la démarche et une fois près de vous, vous comprendrez. Il ne marche pas droit, mais légèrement penché, ses pas s’entrecroisent, de manière à mettre en évidence les coutures des vêtements, les chaussures et les chaussettes… Bref, toute une mise en scène. Alors aucun souci que l’on vous prenne pour un sapeur, même si vous avez « sapé ». Parce que le sapeur authentique se reconnait de loin.

On rentre dans la Sape, comme d’autres entrent en religion. Il faut se sacrifier, se priver même d’un budget-repas si nécessaire pour pouvoir se procurer les dernières pièces à la mode, qui sont généralement hors de prix pour la majorité. Les Sapeurs s’affirment au travers de leur passion assumée pour les beaux vêtements (de valeur ou exceptionnels) auxquels ils vouent quasiment un culte. Leur dressing est toujours composé de pièces de marques souvent confectionnées en petite série et emprunts de fantaisie tels que des vestes colorées aux coupes audacieuses, des cravates ou des nœuds papillons tape-à-l’œil, des chaussures en peau de croco, des accessoires en tout genre … c’est un ensemble où les couleurs et les matières se côtoient avec audace, on parlerait même d’une débauche de couleurs.

Que serait un sapeur sans admirateurs ? Pour cela le sapeur a ses lieux de prédilection pour « voir et se faire voir ». On les croise la plupart du temps, lors des événements festifs où ils peuvent faire leur show, mais aussi lors de défilés surprises en pleine chaussée. Ils se distinguent également lors de veillées funèbres et des retraits de deuil, en hommage à l’un des leurs.

Un des rituels des sapeurs est le défi, dans lequel deux ou plusieurs sapeurs s’affrontent en public. On assiste alors à une démonstration vestimentaire élaborée et un genre de joute verbale où, le public devient juge en encourageant et en désignant le vainqueur par des rires et des acclamations. Ces spectacles ont leurs aficionados qui ne manqueraient cela pour rien au monde. Dans ces défis, Il y a une grande liberté d’expression et une part belle à l’improvisation. Au rythme de la musique, les sapeurs occupent à tour de rôle la scène, en scandant à voix haute des propos qui serviront essentiellement à dénigrer l’accoutrement de l’autre, en espérant se mettre davantage en valeur et attirer la faveur du public. C’est une sorte d’autopromotion, ou la faute de goût dans la tenue est inexcusable. Cette joute oratoire est accompagnée de gestes presque théâtrales tel que le frappage de pied au sol, pour attirer l’attention sur sa paire de chaussure bien entendue « griffée ». La chaussure aura bien sur un fer à talon car il faut que ça claque, comme ils disent « la chaussure parle ! ». Il y a d’autres gestuelles techniques comme le fait d’ouvrir ou retirer sa veste de manière à rendre l’étiquette de la marque bien visible aux yeux de tous.

A ce stade, tout est permis : « Debout, genoux fléchis, pieds parallèles à plat, démarches boitillantes… tout y passe, à qui trouvera le passage qui marquera les esprits… Plus c’est cher et rare et plus on impressionne. La joute est remportée par celui qui aura porté les plus beaux vêtements et accessoires tout en respectant « le réglage », autrement dit, le cadre vestimentaire et oratoire qu’ils s’imposent. Mais rassurez-vous, il n’y a jamais vraiment de perdant et tout ceci se termine toujours dans la bonne humeur au bar du coin.

Et les femmes dans tout ça ? Autrefois marginalisées du mouvement, et reconnues uniquement pour leur statut « d’épouses ou compagnes de sapeurs », les femmes parviennent lentement à se frayer un chemin dans cet univers masculin, et se voient petit à petit reconnaitre le statut de « Sapeuse ». Cependant, cette reconnaissance reste symbolique.

En effet, dans une société fortement ancrée dans la tradition, on attend tout d’une femme, sauf celui de se parer de couleurs festives et d’aller se parader ainsi vêtue dans les rues de Brazzaville. Toutefois, il existe un code vestimentaire auquel elles doivent toutes souscrire : celui de ne jamais porter du « pagne » comme le font d’autres femmes congolaises. Elles devront choisir de préférence des jupes, des pantalons larges, des costumes, des shorts ou des robes avec les mêmes codes de valeur que les hommes : Authenticité, valeur, exception des articles portés.

Un Sapeur sachant saper…

Avec un code d’éthique strict, sa morale et son code de conduite, et même une série spécifique des Dix Commandements à suivre, le rôle du Sapeur est à prendre avec le plus grand sérieux ; à commencer par la règle fondamentale qui est de ne jamais dépasser 3 couleurs à la fois et par tenue. Costume coloré, cravate, nœud papillon et chaussures en crocodile, les Sapeurs s’affirment à travers un dressing particulier à mi-chemin entre l’extravagance et le dandy chic. Ils ont revisité la mode selon un certain rapport aux couleurs, aux matières. Pour eux pas question d’attendre les dimanches à l’église, les mariages, le culte de la « sape » rythme leur vie, leurs accoutrements démontrent une forme de rébellion. Mais en même temps, cela ne doit pas constituer une porte ouverte à toutes les excentricités que de pseudo-sapeurs, sans classe et créativité esthétique. Autrement dit, un Sapeur sachant saper, sape avec sa panoplie de la Sape.

Au Congo, les fêtes et autres manifestations constituent des lieux bien indiqués pour « s’affronter » : celui qui porte les vêtements et accessoires les plus onéreux de grandes maisons de coutures occidentales ou nipponnes remporte le duel.

Les Sapologuesse procurent leurs vêtements dans de célèbres boutiques situées dans les grandes villes du pays européennes ou africaines, à l’exemple des derniers pantalons jeans Versace, qui ne coûtent pas moins de 75 000 FCfa euros. Les « sapeurs » se disent être très méticuleux en matière d’habillement et n’ont rien à envier des stars de la musique congolaise. Mais avec les Ivoiriens, la touche des créateurs et stylistes locaux a donné une valeur ajoutée au chic ivoirien qui a subjugué les Congolais. Pratiquement aux mêmes tarifs. A maints égards, ils ont influencé des stylistes occidentaux qui s’y sont mis.

Derrière la Sapologie, en effet, se cache une réalité déconcertante. En effet, paradoxalement, beaucoup de « sapeurs » sont issus de familles misérables, et n’hésitent pas à se chausser en Weston ou encore Berluti, souliers d’une valeur minimum de 350 000 FCFA. Il n’est pas rare de voir un jeune « sapeur » frimer avec une veste particulièrement onéreuse, griffée Kasamoto dont les manches dominent quelque peu ses mains, en fredonnant un air de Viva la musica. Derrière la Sapologie se cache donc un autre souci de couvrir sa misère en créant l’illusion d’une vie meilleure. A l’instar de certains croisés, notamment, à Kinshasa. Avec des surnoms tels que « Mal à l’aise » ou « Le Procureur » qui en disent long sur leur mal-être.

ADAM SHALOM

 

 

 

 

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