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INTERVIEW / ROGER BANGO, il livre les secrets de son succès

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Promoteur de la marque Korha (Koffi Roger Habillement), Roger Bango est aussi propriétaire d’une unité de production moderne qui emploie au moins 50 personnes. Lauréat 2019 du Prix d’Excellence du président de la République, le styliste-modéliste a une vision futuriste de la couture. Dans l’entretien qui suit, il décode sa réussite.

. D’Abidjan 220 Logements au Prix d’Excellence du président de la République, comment expliques-tu cette ascension fulgurante ?

  • Cela ne s’explique pas! Il y a des fois où on a la foi et on se dit qu’on est sur le bon chemin et qu’on va y arriver. Il y a des moments où on a le moral à zéro, on a l’impression que quelque chose s’est cassée. Finalement, on y arrive mais on ne sait pas pourquoi ni comment. Mais le prix d’excellence est certainement  le couronnement de tout mon processus de travail. J’ai été le premier surpris quand on m’a annoncé la bonne nouvelle de la part du ministère de la Promotion des PME. Généralement, on croit que ce sont les protégés de nos dirigeants qui sont récompensés. Je pourrais dire que c’est le travail qui m’a apporté cette reconnaissance de l’état.

. Quel est le secret de ta réussite ?

  • Comme expliqué plus haut, je ne saurais le dire. Mais une chose est sure: sans organisation, on ne peut arriver quelque part. Il faut s’organiser et être déterminé. Je mise sur l’organisation car dans le milieu, il y a des gens qui sont très courageux et créatifs mais ils ne bougent pas. Cela s’explique par le fait qu’ils n’ont pas une bonne organisation ni de vision dans ce qu’ils font. C’est vrai que quand on crée une entreprise, c’est pour gagner de l’argent. Mais aujourd’hui, ce n’est pas cela ma motivation. Mon objectif est que les clients soient fiers de porter un vêtement Korha et qu’ils oublient les marques occidentales et asiatiques.

. As-tu un atout précis qui te distingue ?

  • Si je m’en tiens à ce que me disent les clients, ils apprécient beaucoup mes finitions. J’essaie de faire des produits de qualité made in Côte d’Ivoire pour concurrencer tous les grands labels occidentaux et asiatiques. Dès mon entrée dans le milieu de la mode, j’ai procédé à faire autrement les choses. Je fais partie des premiers à faire des chemises avec tableau d’art. Notre clientèle qui est assez sobre, a apprécié.

. La maison Korha a-t-elle des préférences en termes de matières ?

  • Depuis que j’ai reçu le Prix d’Excellence du président de la République, je m’oblige à faire la promotion du pagne ivoirien dont je suis l’ambassadeur. Désormais, j’en porte moi-même à toutes les cérémonies où je suis invité. Sinon, a à la base, je suis très coton car nous sommes dans un pays où il fait très chaud. A 90%, je travaille avec du coton et du lin.

. Qu’est-ce qui t’a poussé à la mode ?

  • Ma mère était dans la mode même si ce n’était à un niveau aussi élevé. Je bricolais sur sa machine à coudre à la maison quand je revenais de l’école. Ça l’amusait mais quand elle a compris que je voudrais en faire un métier, elle n’était plus d’accord. Il faut dire que dans les années 1990, on n’avait pas cette idée de la mode aujourd’hui. Dans ma famille, seule ma défunte grande sœur m’encourageait à faire la couture. Je dois aussi ma carrière à Mme Fofana qui est toujours là et que je salue d’ailleurs. Mme Tagali Fofana est ma mère dans le milieu. Elle est aussi ma confidente.

. A te voir, on croirait que tout a été rose dans ton cheminement…

  • Bien sûr que non !  Avec mes amis, on écoutait 2Pac et tous ces rappeurs de l’époque. J’étais DJ. On parlait peu de couture. Personnellement, j’avais honte de dire que j’apprenais ce métier-là ! Après, j’ai commencé à me documenter. Ce n’était pas facile comme aujourd’hui. J’ai découvert dans mes recherches Chris Seydou, Levi’S et sa fameuse marque de jean… Je me suis dit que la mode peut donc rapporter beaucoup d’argent. J’ai commencé à m’y mettre de plus en plus mais vraiment, sans conviction hein. La présence de mes amis m’influençait beaucoup.

. Qu’est-ce qui a motivé ton choix pour la couture hommes ?

  • J’ai commencé par la couture dames que j’ai apprise chez Tagali. C’est après que j’ai développé le côté masculin après avoir suivi des formations en ligne. J’aime bien les choses carrées, qui sont claires. Je trouve que la couture femme est très versatile. Ce n’est pas carré quoi ! Ça me fatiguait un peu. Dans la mode masculine, le process est plus clair. Je sais combien de temps, quelle longueur de fil j’ai besoin pour faire une chemise. Car, c’est mesurable. Par contre dans la couture dames, il y a tellement de choses, de fantaisies… Je trouve que ce n’est pas facile.

. C’est quoi le rôle de la Fondation Roger Bango ?

  • Derrière ma carrière, il y a un côté social. On est dans un environnement où on doit aider ceux qui sont autour de nous, on doit pouvoir partager… Cela m’aide à courir hein. La fondation Roger Bango a été créée en 2018. Le nom complet est la Fondation Roger Bango pour la formation et l’insertion socio-professionnelle des jeunes filles en situation difficile. J’ai créé cette fondation pour faire travailler les jeunes. Pour moi, seul le travail libère l’homme. Quand on donne de l’argent à quelqu’un et dès qu’on tourne dos, il fait quoi avec ? Rien. Par contre, quand on donne un métier à quelqu’un, il l’a pour toute la vie. Il est libre.

. Quel conseil donnes-tu à tous ces jeunes qui veulent suivre tes traces?

  • Dans nos marchés, ce qui domine, c’est le vêtement. Cela veut dire qu’il y a de la place. En plus, je leur dis que les clients ne sont plus des novices. Ils voyagent beaucoup et l’information est disponible partout. Ils recherchent la qualité car ils savent ce que c’est. Si on veut être compétitif, c’est déjà avoir cette qualité-là pour pouvoir vendre à nos clients qui sont nos voisins. Sinon, ils vont aller au marché.

. On trouve les créateurs africains trop chers. Comment expliques-tu cela ?

  • C’est simple. Cela s’explique par le fait qu’on ne produit pas assez. Quand on regarde ce qu’on dépense et ce qu’on produit, on se rend compte qu’on ne produit rien du tout. Si on produit beaucoup, les prix vont baisser. Quand je visite les grandes unités de production de Chine ou de Turquie, j’ai du mal à travailler à mon retour. Chez nous au pays, on n’a pas encore ce qu’on appelle la conscience professionnelle qui doit discipliner les employés jusqu’au niveau de ce qu’on retrouve chez les Chinois. Dans nos ateliers à Abidjan, on n’a pas encore cette conscience professionnelle-là. Mais ce n’est pas dû au seul fait des employés. Les créateurs-employeurs devront créer cet environnement-là. On doit avoir l’esprit de nous mettre dans une dynamique d’usine. Ça va conditionner tout le monde à aller plus vite. On a des processus où il y a beaucoup de gaspillage, de lenteur. Au lieu de faire une chemise en 30 mn, on la fait en 4h, c’est une perte énorme. A ce rythme-là, personne ne pourra s’en sortir. Tout se mesure et tout se calcule. Si on ne le fait pas, on échoue. C’est prouvé partout ailleurs !

Par Waly Do

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