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Grand-Bereby Plongée dans un savant cocktail entre mère (mer)-nature et devoir de mémoire !

Temps de lecture: 9 minutes

(Re) découvrir une destination dont la littérature est fort abondante et les mythes résistent au temps, paraît comme une sinécure pour tout voyageur qui veut en partager son expérience. Ainsi, en décidant avec une bande de copains, journalistes et professionnels du voyage, d’organiser un trip sur Grand-Bereby et le littoral Sud-ouest ivoirien, il n’était pas gagné d’avance que nous en reviendrions avec une myriade de « Waouh » gratifiants et les étoiles pleins-les-yeux ! Retour sur un jamboree qui sonne en écho au circuit « Entre mer et nature » contenu dans la stratégie de développement touristique de la destination ivoirienne, « Sublime Côte d’Ivoire », dans son aspect « Dépaysement », entre escapade balnéaire et écotourisme.

C’est par une fin d’après-midi d’un vendredi de septembre 2019, annonçant un week-end enjoué que notre quatuor d’excursionnistes atterrit sur le tarmac de l’aéroport de San Pedro, où  nous attend depuis notre décollage, 1h environ plus tôt, un 4X4 de location. Sans vouloir subir l’influence de la cité portuaire, poumon mondial du cacao, nous mettons le cap directement sur Grand-Bereby avec Issa, un chauffeur fort bavard. En chemin, entre pans de route impeccables et tronçons sinueux, nous voilà, au bout d’environ d’une heure à Grand-Bereby. Occasion pour notre conducteur qu’il est vraiment dommage que la réhabilitation de la Côtière ne soit pas encore effective car, selon lui, c’est un trajet qui aurait pu corser notre envie de dépaysement. Bref.

Pour un accueil des plus inattendus, Nemlin, notre hôte a convaincu la notabilité de Bereby-village de sacrifier au rituel traditionnel de bienvenue en pays kroumen. Et qui consiste en un partage du cola, du piment et du vin de palme (baptisé par les puristes Lait maternel), mais qui peut être remplacé par de l’eau pour ceux qui ne consomment pas d’alcool et ce fut le cas, dès notre arrivée, dévoilant ainsi la riche culture du Sud-ouest littoral du pays. Car loin des clichés de cartes postales, notre but est d’explorer la région avec un autre regard.

Avec, à la clé, un budget très serré de 300 000 FCFA par personne, incluant le billet d’avion pour la moitié, la location du véhicule, la nuitée à Grand-Bereby et le circuit.

Nous posons nos valises au Katoum, un éco-lodge en bordure de mer où Pierre Dazey nous accueille avec un enthousiasme contagieux au regard du programme qu’il nous propose : « Bonjour le Katoum vous accueille avec plaisir.  Pour cette soirée, nous vous proposons une petite partie de pêche nocturne, puis, dès l’aube, une balade en forêt, une descente sur la rivière Néro, et en fin d’après-midi, une baignade dans les piscines naturelles creusées par la mer et le temps ». Sacré et alléchant programme qui, hélas, ne pourra être exécuté qu’à moitié. Mais, bien avant, nous nous rendons, après un bain expéditif, à un dîner, à la mythique « Baie des Sirènes ».

 « La Baie des Sirènes » toujours incontournable  

Exceptionnelle à bien des égards, la mythique « Baie des sirènes », fermée suite à la crise de 2002 et rouverte en novembre 2016 pour le plus grand bonheur de tous, est non seulement une institution, mais aussi une fierté nationale indissociable de l’identité de la Côte d’Ivoire et de la richesse d’un patrimoine touristique et balnéaire l’ayant promue au rang de  » pays carte postale « . Situé sur l’une des plus belles plages du pays, ce complexe hôtelier qui a vu le jour en 1988 s’est refait une (sacrée) beauté et un bain de jouvence, et propose aujourd’hui, des prestations aux standards internationaux, portées par un sens de l’accueil et du service remarquable. Le complexe s’étend sur un site de toute beauté, à l’extrémité d’une baie préservée de l’agitation marine et parsemée de rochers.  Il se caractérise par son agencement en bungalows privatifs disséminés sur un chapelet de collines arborées, adorables maisonnettes au toit de chaume se fondant harmonieusement dans le merveilleux environnement naturel des lieux et offrant pour les plus hautes perchées une très belle vue sur l’océan. Niveau confort et équipements, il n’y a vraiment rien à redire : lumineuses et décorées avec une élégante sobriété, les chambres sont fonctionnelles et impeccablement agencées, dotées pour ne rien gâcher d’une literie grand standing et de salles de bain modernes et bien conçues. De la qualité du service à celle de la restauration, faisant la part belle aux produits frais de la mer (pêche du jour et crustacés, mais aussi pâtes, viandes, pizzas… Aussi, La Baie donne-t-elle le ton du concept « Paradis entre mer et nature », ainsi qu’un soupçon de « La route de l’Eléphant » qui mènera les explorateurs amateurs que nous sommes, dans tous les petits coins de paradis susmentionnés par notre hôte.

Le Katoum, un petit coin de paradis

Retour au Katoum. Qui, faut-il le noter, dispose d’un parc floral de 2 hectares avec un écosystème préservé dont la mangrove et les singes qui se laissent découvrir dans la forêt dense mitoyenne de l’hôtel est un pur retour à l’tat de nature. L’hôtel est bordé d’une part par l’océan atlantique et d’autre part par la rivière Nero. Et quel bonheur d’expérimenter d’observer où ils se rencontrent à l’embouchure située à quelques minutes de marche du Katoum. Si vous avez envie de sensations fortes, faites comme nous. Essayez de traverser l’embouchure… à pied…. Mais pour plus de sécurité, faites-le à plusieurs.  C’est toujours mieux pour s’entraider avec les forts courants. À votre retour, vous aurez de sacrés souvenirs à raconter….

Vous avez dit piscine naturelle et tortue ? Immersion à Tabaoulé

Le lendemain, samedi dès l’aube, sur le chemin du retour vers San Pedro et qui constitue l’essentiel de notre circuit, une triple escale (Mani-Bereby, Tabaoulé et Roc Olidié) a conforté tous les excursionnistes sur le fait que « Le paradis entre mer et nature », c’est ici !

Cap donc sur Tabaoulé avec une halte à Mani-Bereby.  Une escapade à seulement 20 km de Grand-Béréby (soit 45 minutes de route) qui vous fait emprunter un chemin de toute beauté entre brousse et littoral. De temps en temps, au travers d’une végétation dense, vous apercevez l’océan et quelques pirogues de pêcheurs au loin. Toute chose qui n’a eu pour conséquence spontanée de la part de mes compagnons d’aventure que des exclamations en waouh gratifiants face à la beauté des sites. Ainsi,  à Mani-Bereby et sur le site de l’éco-lodge de Tabaoulé, les nombreuses baies où il est possible de marcher dans l’océan jusqu’à plus de 100 mètres dans un calme onirique les frissons sont montés d’un cran.  Que dire du site de ponte des tortues ? En guise de « piscine naturelle », nous découvrons des formations rocheuses qui, à marée basse, se vident partiellement et se transforment en « jacuzzi ». A marée haute, elles sont englouties par l’océan. Des enfants des deux villages mitoyens, ainsi que ceux de touristes rencontrés sur place, en cette fin de vacances estivales, s’amusent comme des fous. Le plaisir de la mer et de la piscine en même temps !

Les plages de Tabaoulé et alentours sont des lieux de prédilection pour la ponte des tortues, paraît-il, au dire des villageois, pour sa température exceptionnelle. « Auparavant les villageois les chassaient et les mangeaient. Mais depuis plusieurs années, un travail de sensibilisation a été mené pour les protéger. Les anciens braconniers sont désormais d’ardents protecteurs des reptiles à carapace », explique Nemlin, notre ami natif de la région. Qui n’a hâte, en réalité, que nous nous rendions à Roc Olidié pour y découvrir ce village, son village, qui lui tient à cœur.

Avant notre départ, après 2h d’un bol d’air édénique, nous nous renseignons sur les tarifs de Tabaoule Eco-lodge : « chambre double avec canapé/lit climatisée à 55000F/nuit. Possibilité de poser votre tente sur le site. Et simplement d’y passer la journée contre paiement de 30 000 FCFA ».  

Roc Olidié, à la genèse de l’ascension de Kwame NKrumah !

Au plan du tourisme de mémoire et du patrimoine, l’escale à Roc Olidie est à creuser avec historiens, sociologues et autres tour-operators en lien avec au moins trois voire quatre ou cinq pays (Côte d’Ivoire, Ghana, Liberia, Grande Bretagne, Portugal voire Les Pays-Bas).

Roc Olidie est un village que nous joignons au bout d’une trentaine de minutes après Tabaoulé et qui n’a rien de banal. En effet, s’y trouve, au dire des habitants et de toute la notabilité, la tombe-mausolée du grand-père paternel de Kwame Nkrumah, Gro Yeba, créateur dudit village au XVIIe siècle. Dont la contraction en anglais du surnom «Kwame le Krou man» (L’homme krou), nous avertit Nemlin,  aurait donné le nom Kwame Nkrumah. En contact avec les explorateurs portugais, puis hollandais et anglais, puis avec les colons britanniques et enfin français dès le XIVe siècle, explique Gnepa Octave, instituteur à la retraite et notable du village, «  Ceux-ci avaient baptisé la  zone de Grand-Béréby  «Le pays des hommes d’équipage» ou «Crewmen».  Les Kroumen furent les seuls nègres de la côte sud-ouest de l’Afrique qui quittaient volontairement leur pays pour se faire marins. Ils accompagnaient les navires pour l’embarcation et le débarquement des billes de bois. Ce peuple dont la localité était chargée d’histoires, de symboles et de richesses avec ses sites naturels a délaissé ses premières amours à la faveur du retour à la terre pour s’intéresser sur le tard au tourisme ».

Saga familiale au cœur de l’époque coloniale

Ainsi, Honlo Gnepa, arrière-grand-père du premier Président du Ghana indépendant, homme d’équipage, poursuit le notable de Roc Olidie, a fini par devenir armateur et négociant sur toute la côte du golfe de Guinée, au dire des anciens du village, rebaptisé, depuis la fin du XIXe siècle, Roc Olidie par les colons français en intégrant la langue locale, après que les Anglais l’eussent appelé Rock Town, tel que l’atteste la pierre tombale édifiée en 1893 à la mort de Gro Yeba. Il avait deux épouses, l’une Ivoirienne,  et l’autre Libérienne. C’est la seconde qui enfanta Gnepa Djro, le géniteur de Kwame Nkrumah, Yuru Yeba. Au gré des guerres tribales, le jeune Yuru est mis à l’abri chez sa grand-mère maternelle au Liberia voisin, déjà indépendant depuis 1847 et autonome depuis 1822.Commerçant avec les Anglais et fournissant des armes à ses «frères» de Roc Olidie dans leurs croisades tribales, il est accusé d’être un fauteur de troubles. Entre-temps, intervient la Conférence de Berlin (1885) dont le traité signé par la France, le Royaume-Uni, l’Italie, les États-Unis, la Belgique, la Hollande, la Suède et l’Allemagne détermine les règles de comportement auxquelles les puissances acceptent de se soumettre dans le cadre de leurs politiques africaines respectives. C’est ainsi qu’avant qu’elle ne soit effectivement colonie française en 1893, la région littorale entre l’ex-Gold Coast (actuel Ghana) et ce qui équivaut au territoire de l’actuelle Côte d’Ivoire balance entre Britanniques et Français. Yuru Yeba est emprisonné à Grand-Bassam et encourt 20 ans de prison en attendant son procès pour subversion. Mais à son procès, il est acquitté et décide de s’installer à Half-Assinie, à la frontière ivoiro-ghanéenne, côté britannique. Il y contracte mariage avec une ressortissante de l’ethnie n’zima. Témoignant de cette époque, son cousin kroumen, Gnepa Robert, notable de Roc Olidie, affirme que conformément aux pratiques matrilinéaires des Akan, l’éducation et l’avenir de l’enfant Kwame sont confiés à sa génitrice. Né, officiellement,  le 21 septembre 1909 à Nkroful (Gold Coast) non loin de Half-Assinie, le fils unique de YuruYeba, rebaptisé Kofi Nwiah et reconverti en chercheur d’or, et Magnae Kaku Nyaniba, commerçante, est prénommé Kwame qui  signifie «né un samedi». Mais avide de retrouver les siens, le père de Kwame revient à Grand-Béréby où l’accueil à lui n’est pas chaleureux. Alors il décide de retourner au Liberia chez ses parents maternels où il vécut jusqu’à sa mort et y est enterré.  Dans la communauté, le petit Kwame se voit affubler du surnom, quelque peu sarcastique, de Kwame «The Kru man» (le Kroumen). Nom qu’il gardera pour sa lutte anticoloniale et pour affirmer son authenticité africaine. Bref, la tombe du grand-père de l’un des pères du panafricaniste, en pleine plage, dans un matériau de pierre de Liverpool, aux côtés d’autres tombes de Kroumen et explorateurs, mérite être restaurée et surtout répertoriée et inscrite au patrimoine national et universel. Mais aussi et surtout dans des circuits touristiques sur-mesure.

ADAM SHALOM

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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