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Rencontre avec Orphelie THALMAS, sur les traces de l’art , motivations, confidences…

Temps de lecture: 10 minutes

« NOTRE CULTURE EST RICHE, IL FAUT LA PARTAGER »

Juriste de formation, Orphelie Thalmas est une grande amoureuse du web et de l’art. Née d’un métissage culturel, de père adjoukrou et de mère baoulé, Orphelie a su se positionner au-devant de la blogosphère en Côte d’Ivoire mais pour elle, au début, l’idée était : « de pouvoir créer de la crédibilité dans le contenu au-delà de la popularité ».
Cette notoriété dont bénéficie Orphelie est aussi le fruit de son travail acharné pour la promotion de l’art et de la culture africaine. Grâce à son Webzine Culturiche, elle aide plusieurs artistes à se faire connaître à travers le monde. En l’espace de six ans, elle a su se positionner comme l’un des cerveaux ivoiriens actifs pour la promotion de l’art et de la culture.
Dans cette interview, elle nous livre quelques secrets de son succès, ses craintes et ses attentes pour l’avenir.

1) Quel genre d’enfant étiez-vous ?
J’étais une enfant joyeuse, beaucoup d’entrains, j’aimais l’école et surtout apprendre. Mais je pense que ce qui me définit le mieux, c’est que je suis une résistante…
2) Votre parcours scolaire est plutôt bien enrichi. Après vos études en droit, qu’est-ce qui vous oriente vers le milieu artistique ?
J’étais très attiré par les créations artistiques avant d’entreprendre des études de Droit. Je suis très passionnée d’art et je sentais aussi le besoin d’avoir une activité en dehors des études qui puisse m’amuser et m’instruire à la fois. Finalement, l’art et la culture, c’est une forme d’éducation et je me suis vite sentie à l’aise dans ce domaine.
3) Amoureuse du web, vous avez créé en 2012, le blog Rythmes d’Afrique, Racines pour la promotion du patrimoine culturel africain. A quel moment vous pensez à créer le webzine Culturiche ?
En 2017, j’ai créé culturiche parce que, j’avais envie de m’améliorer et de proposer plus. Avec le blog, j’étais toute seule à produire du contenu, j’avais plus de temps et j’aimais visiter les galeries, voir des expositions, faire beaucoup d’interviews, investiguer pour rédiger des articles consistants. Quelques années après, j’avais de moins en moins de temps parce-que j’ai eu des responsabilités au travail et il fallait se faire aider. A partir de ce moment, j’ai commencé à penser à un format webzine avec une équipe de rédaction. Pour moi, cela permettrait aussi de diversifier le contenu. L’un de mes projets était aussi de professionnaliser le blog Rythmes d’Afrique, Racines. Donc, c’est naturellement qu’on est passé à Culturiche. Je pense que tôt ou tard, on aurait abouti à cela.

4) On peut dire que votre projet de Webzine a plutôt bien marché, puisque vous êtes suivit par plusieurs grands artistes en Afrique et ailleurs. Racontez-nous tout sur vos premiers pas ?
Culturiche, c’est la continuité de Rythmes d’Afrique, Racines. Avec le blog, j’avais déjà commencé à établir un solide carnet d’adresse. J’avais eu à rencontrer plusieurs artistes, des promoteurs culturels. On a grandi avec ces personnes et nos relations aussi. On était donc dans une bonne continuité. C’est pourquoi le webzine s’est très vite intégré.


5) En tant que femme, vous avez su vous intégrer facilement au-devant de la blogosphère ivoirienne, comment tout cela est parti ?
Je ne dirai pas facilement. Je pense plutôt que mon intégration s’est faite naturellement. Au départ, ce n’était pas facile dans la mesure où la collecte des informations demandait beaucoup de travail. Lorsque vous voulez avoir du contenu pour la promotion de la culture et des arts et que vous êtes dans un pays où, il se passe de plus en plus d’évènements artistiques, cela demande beaucoup de déplacements et de rencontre avec les acteurs de ce milieu. Je faisais aussi, beaucoup de travail de synthèses, d’analyses. Ma passion pour ce milieu m’a accompagnée dans ce que je faisais pour arriver à ce niveau dans le blogging. Au début, mon but était de pouvoir créer de la crédibilité au-delà de la popularité. La spécificité de notre ligne éditorial a beaucoup aidé aussi. Lorsque vous choisissez une ligne éditoriale très claire, vous arrivez à vous distinguer, voici le secret.
6) Vous avez notamment eu une actualité prodigieuse grâce à culturiche ces derniers mois. Quel est votre sentiment aujourd’hui ?
Je suis évidemment très contente mais je ressens une grande pression dans la mesure où quand vous avez de si grands retour, des appréciations des abonnés, des lecteurs et des collaborateurs aussi, vous avez quand même la responsabilité de maintenir le cap, d’avoir une certaine constance et au-delà de la constance de faire toujours mieux. Je veux continuer de les épater, de les surprendre, de répondre à leurs attentes, à leurs besoins.

7) Il y’a quelques temps, votre site culturel a subi certains dysfonctionnements de haut niveau. Qu’est ce qui c’était réellement passé ?
En fait, on avait été victime de piratage de nos données à plusieurs reprises et j’avais fait le choix de ne pas en parler même si j’étais beaucoup stressée. Je pense que c’était important de garder le silence surtout que c’était notre première année. Il y avait aussi plusieurs choses à ré-calibrer au niveau de la sécurité. A un moment, on s’est rendu compte qu’on avait perdu toutes les données, notre travail, les images, les articles. Malheureusement, on n’avait pas de sauvegarde disponible. C’était comme si tout ce qu’on avait fait était parti en fumée.
Une anecdote à ce sujet
« Un peu moins d’une semaine, je faisais un post très heureux parce qu’on avait passé le cap de 500 articles publiés. Sachant que j’en publie que 70%, j’étais vraiment contente et boostée. Quand il y’a eu ce problème, j’ai été démolie sur le coup, je voulais même faire une pause ».

Je ne sais pas pourquoi il y’a eu cet acharnement sur le site. Même le développeur qui s’en occupait, à un moment était dépassé par les évènements. Je pense que c’était le plus beau et le plus moche souvenir.
Le plus beau, parce qu’on a eu une grande communauté de bénévoles qui s’est mobilisés pour nous soutenir. Plusieurs développeurs se sont proposés de remettre le site en ligne mais aussi, de trouver des moyens pour récupérer quelques articles. On a pu retrouver environ 300 articles. J’ai travaillée pratiquement avec deux développeurs bénévoles, Fréjus Bamba et Yacoub Sidibé, je leurs suis vraiment reconnaissante. En deux jours, le site était déjà en ligne avec du contenu que j’ai rapidement produit avec l’aide de d’autres bénévoles. Deux radios ont même parlé du dysfonctionnement…On a reçu beaucoup d’amour et de solidarité. C’était une démonstration de force inouïe et je me suis rendue compte qu’on ne pouvait pas faire les choses toute seule, je me suis sentie comblée. J’ai eu davantage de pressions d’être à la hauteur et d’aller au-delà.
8) Qu’est ce qui fait la spécificité de Culturiche ?
Je pense que notre spécifié, c’est notre ligne éditoriale qui est de promouvoir l’art et la culture. Un domaine qui, en 2012, n’était pas vraiment exploité par les médias ivoiriens. Aujourd’hui, il y’en a de plus en plus qui s’y intéressent, ce qui est très bien d’ailleurs. Notre deuxième spécificité est qu’on est décidé à ne pas se contenter à faire des comptes rendus ou des annonces d’évènements (agendas). On veut aller dans un regard critique, ouvrir des débats et questionner. C’est pourquoi on prend parfois le risque de donner notre avis sur des spectacles, toujours dans le respect. On parle de création artistique donc des fois, les avis sont relatifs mais on tient vraiment de temps en temps, à donner notre avis sur des créations. On aime aussi, s’intéresser à des phénomènes culturels, à susciter des débats en posant des questions. On l’a fait avec l’Abissa, sous le fait qu’on assistait à une festivalisation de l’Abissa etc. On est dans cette démarche parce qu’on pense que la culture en Côte d’Ivoire doit être appréhendée en terme de divertissement mais de façon scientifique. On pense qu’il y’a cette volonté de créer un contenu éducatif, d’inviter à la réflexion, d’intéresser des personnes au domaine artistique. Notre troisième spécificité, c’est qu’on essaie d’avoir un langage fun, très accessible, souvent à travers l’humour, les couleurs, etc.
9) Vous êtes une femme épatante, vous avez collaboré sur plusieurs projets culturels en Côte d’Ivoire et dans la sous-région. Quelle a été votre plus belle expérience.

En Côte d’Ivoire, le premier projet qui m’a marqué, c’était avec l’institut Goethe en 2015, où je revenais d’un séjour linguistique au Ghana. J’ai eu la confiance de la Directrice de l’époque, Feu Enrike Grohs qui a acceptée de m’accompagner pour l’organisation d’un atelier avec une amie qui s’appelle Tanja Schreiner, l’idée, c’était de rassembler des blogueurs qui avaient pour ligne, l’art et la culture pour qu’on puisse s’organiser pour la couverture du Masa (Marché des Arts et du Spectacle Africain).
Pour notre atelier, on a été formés par des journalistes et des professionnels du domaine de l’art et de la culture dont Remi Coulibaly et Valérie Boni, qui nous ont entretenu sur trois jours. C’était une belle expérience et le premier événement que j’organisais et la première grosse confiance que j’avais d’une institution comme l’Institut Goethe.
Le deuxième événement, c’était au Burkina Faso avec l’Unicef et le Ministère de l’Education de Côte d’Ivoire en prélude au Fespaco. Avec des collaborateurs d’autres pays, on a eu à entretenir des plus jeunes que nous sur la promotion de la culture africaine en ligne. Je pense que c’était une restitution de l’atelier à l’Institut Goethe. C’est plein de beaux souvenirs, de rencontres et de belles expériences.
10) Quel regard portez-vous sur l’univers artistique africain ?
Je trouve que l’univers artistique africain est en plein boom grâce aux réseaux sociaux. Le digital permet aujourd’hui d’amplifier la visibilité du talent made in Africa, ce qui n’était pas le cas avant avec les médias classiques. Aujourd’hui, les artistes peuvent faire de l’auto-promo grâce aux nouvelles technologies de Communication. La visibilité s’est accrue et avec elle plusieurs évènements de promotion de la culture qui permettent aux artistes de se vendre. On arrive à une meilleure commercialisation de cet art. Le marché africain est devenu le marché tendance, il y’a du contenu, quoi que parfois, il faut aller dans certains quartiers pour découvrir d’autres talents. Il y’a de la place grâce au digital pour pouvoir en parler.
11) Pour vous, que signifie être artiste ?

Pour moi, l’artiste c’est celui qui est à la recherche de l’esthétique dans son travail, une harmonie. Je ne dirai pas du beau car l’esthétique c’est la perception du beau. Ici, on est plus dans les sens. Et, il faut être initié pour mieux lire une œuvre d’art. Je pense qu’un artiste, c’est quelqu’un qui a un discours, qui a de la profondeur dans son travail. Il faudrait aussi qu’il soit engagé. L’engagement ne va pas être une lutte mais plutôt un attachement à une cause.
12) En quoi l’environnement dans lequel vous avez évolué a-t-il marqué votre travail ?
Mon père a beaucoup encouragé ma curiosité autant que je ne l’étais depuis petite et m’a aussi inculqué le besoin de recherche, des fois, je posais beaucoup de questions. Quand je lui demandais des informations, il m’invitait à ouvrir des livres, les dictionnaires et les encyclopédies pour pouvoir avoir une réponse avant de revenir vers lui. Je pense que cela a beaucoup joué sur mon travail. Il me poussait à aller plus loin dans la recherche pour apprendre encore plus. Il m’offrait des livres et aimait en discuter avec moi. Cela m’a aussi forgé le sens du partage et le gout de la curiosité. Aujourd’hui, je ne peux pas m’empêcher de partager, j’adore les échanges.
13) Quelles sont les artistes auxquels vous identifiez votre personnalité ?
Je dirai d’abord Jean Servais Somian, Designer mobilier, parce qu’il a une énergie débordante, il est très expressif. J’adore son authenticité, c’est un être entier. Je m’identifie aussi à Armand Gauz, écrivain-photographe-scénariste. Il a quelque chose d’assez intéressant qui est de vous stimuler à atteindre la meilleure version de vous-même. Il n’est pas du genre à toujours complimenter mais il vous pousse à aller plus loin. Il aura tendance à piquer un peu mais, c’est une façon de challenger et je trouve cela intéressant. Je pense que je suis un peu comme lui. Des fois, il m’arrive aussi de m’identifier à Joana Choumali. Nous sommes nées toutes les deux, le 05 septembre et ils nous arrivent de nous taquiner avec. Les quelques fois où j’ai pu discuter avec elle, nos conversations étaient très poussées et on s’est rendu compte qu’on avait une même vision de la spiritualité. Joana Choumali a une incroyable sensibilité et beaucoup d’amour à donner.
14) Qu’est-ce qui vous étonne le plus dans votre parcours ?
Je dirai d’abord, la confiance de mes aînées journalistes pour l’égard qu’ils ont eu pour moi, en tant que bloggeuse. Ils ne m’ont pas exclu du monde de l’écriture informationnelle. Il prenait en considération mes points de vue et me demandaient même mon avis sur des sujets. Ils m’invitaient à des couvertures médiatiques et me faisaient des recommandations. Très tôt, j’ai eu cette chance d’avoir l’accompagnement et l’amitié des journalistes culturels, c’était une belle surprise pour moi. Ensuite, il y’a eu la confiance des professionnels de l’art et de la culture.
15) Vous avez aussi été photographe. Qu’est-ce qu’on retrouvait généralement dans vos clichés ?
Je ne me considère pas comme une photographe. La photographie est un métier que je respecte beaucoup. Lors de mes premières années de blogging, de 2012 à 2014, j’étais sollicité pour couvrir des rencontres et des réunions professionnelles. J’étais une sorte de reporter en images et j’étais payée pour cela. C’était une activité qui me permettait d’avoir un peu d’argent pour mes déplacements de bloggeuse.

16) Si vous devriez être l’un des peintres de cette génération, ce serait qui et pourquoi ?
Je dirai le jeune Peintre Mounou Désiré Koffi, parce-que, j’ai eu l’occasion de travailler avec lui et de côtoyer son environnement. C’est quelqu’un qui est puissamment contemporain dans ses œuvres. Il utilise des claviers de téléphones comme matière pour la réalisation de ses œuvres. Il a une technique, un discours artistique super intéressant. Et j’ai bien envie de réussir à faire ce qu’il fait. Je pense que, c’est quand même assez difficile de travailler avec ces matériaux qu’il faut découper, recoller, réussir à assembler sur des peintures pour créer une harmonie, ce n’est pas un travail souple. Aujourd’hui, cet artiste monte en visibilité, son travail est en train d’être reconnu au-delà de la Côte d’Ivoire et je lui souhaite plein succès.

17) Vous êtes jeunes et entreprenante, un conseil à la jeunesse.
Ce que je souhaite demander à tous et à chacun de nous, c’est de se lancer et de ne pas attendre de l’aide. Les gens ne sont pas tenus de nous aider, ce sont nos clients potentiels. Il faut donc créer de la valeur qui pourra être monétisée. Ne jamais partir du principe que les gens sont obligés de nous aider. Ce qu’il faut faire, c’est de les convaincre pour que spontanément ils aient envie de vous soutenir.

Nel Soro

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