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Mode des vacances et tube de l’été: un phénomène en voie de disparition ?

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Un recul des artistes du showbiz qui impulsaient ces mouvements estivaux et qui ne font plus rêver ou une conséquence des différentes crises sociales et politiques qui jalonnent l’histoire récente des Etats africains ? la mode des vacances est-elle en voie de disparition ? Ou, a contrario, existe-t-il autant de modes qu’il n’y a de sociostyles qu’une n’arrive plus à supplanter les autres ?

Au plan sociologique, il convient, par ailleurs, de s’interroger sur la mode, ses représentations et ses effets.


Au cours de ces cinq premiers mois de 2020, l’Afrique a perdu de nombreuses icônes des arts de la scène, de la musique notamment, sous la chape meurtrière de la pandémie de Covid 19. Citons, entre autres : Manu Dibango, Mory Kanté, Aurlus Mabele, Nst Cophie’s. Relativement aux deux derniers cités, foncièrement férus de mode, le Congolais Aurlus Mabele qui était très introduit dans le mouvement de la SAPE (Société des Ambianceurs et Personnes Elégantes), l’Ivoirien Nst Cophie’s qui, du « Zôgôda » au « Zopio », avec les codes-couleurs dédiés, imprimait un élan de mode estivale à la sortie de ses différents albums, il importe de revenir sur la corrélation congénitale entre showbiz et mode. Sans compter que les deux premiers, plus classiques, n’en demeuraient pas moins, des « mannequins de service » de créateurs africains.

A l’instar de Manu Dibango qui fut, ces dernières années, un porte-étendard de la griffe Ciss St-Moïse.
En effet, il ressort de sources bien documentées et de témoignages concordants qu’au lendemain des Indépendances, jusqu’à une période récente, un ou des tubes étaient incontournables pendant les vacances scolaires. Et ces mélodies ne se fredonnaient pas ou ne laissaient éclore des pas de danses sans tenue vestimentaires donnant le tempo de la mode des vacances.

Avec ce que cela inclut comme coiffures et autres accessoires du branché parfait, au masculin comme au féminin. Un phénomène construit sur une forme pyramidale établissant au sommet les VIP, avec des strates jusqu’à une base plus populaire. Et, pour donner force de vie à l’adage, les oiseaux de même plumage volant ensemble.


Des influences étatsuniennes, avec la culture hip-hop et le style Gangsta, aux férus de la rumba congolaise avec la SAPE, en passant le style bon chic Bon genre (BC-BG) européen, nul ne pouvait y échapper. Sans omettre des phénomènes plus endogènes ou locaux dictés par des créateurs comme ce fut le cas, entre 1990 et 2000, en Côte d’Ivoire, avec Etienne Marcel et ses muses, le musicien Meiway pour les hommes (qui est aussi une égérie de Ciss St-Moïse), et le Top-modèle Cady Wassa, au féminin.

Des chanteuses, à l’image de Chantal Taîba, avait fait coïncider une danse, « Le Matiko », avec une jupe qu’elle arborait avec élégance, pour l’établir en mode, au milieu des années 2000. Et qui s’accompagnait d’une fin de prestation en ôtant les chaussures des pieds. Et que dire, juste avant elle, de la « Sékamania », insufflée par sa consœur Monique Séka. Mettant au goût du jour des sandales populaires revisitées avec talons compensés.


Avec l’hybride mouvement du « Coupé-décalé » et la bande de Jet-setteurs chers à Douk Saga, entre 2002 et 2010, la mode était plus clinquante avec vêtements de grandes marques parisiennes et italiennes, bijoux, sacs et autres accessoires allant avec.


En tout état de cause, durant de longues décennies, les vacances scolaires, estivales donc, étaient rythmées aussi bien par des décibels que par des effets de mode vestimentaires dans les capitales africaines. Qui ne se souvient de la déferlante « Miss & Jo » (Jaune-Vert) à la fin des années 1980 ? Ou encore du retour à la mode des Jeans « Wrangler » au milieu des années 1990 qui est allée de pair avec le mouvement « Agnagnan » porté par le groupe musical RAS avec la sous-culture « Ziguéhi » ?

Mieux, bien avant qu’il en soit proclamé « Pape », Papa Wemba avait été précédé, en terre ivoirienne, en l’occurrence, par bien des adeptes de la SAPE. Notamment un certain Djo Ballard, alors autoproclamé « Roi ». Qui réclamant son amour pour le lin en tant que matière, aimait en faire l’apologie : «le lino de Pepito qui se froisse avec noblesse est le signe des grands Sapeurs ».


Bouffon pour certains, personnage excentrique pour d’autres, n’en demeure pas moins un modèle pour bien de férus de la mode de la double décennie 80/2000. Car, à en croire ses ouailles, il met en lumière les valeurs que la SAPE porte en substance.
Pour le styliste français Del Papo qui habille bien des artistes africains en vogue sur la place parisienne, par l’évocation de la mode, il est certes question de découvrir les codes du style et de l’élégance, mais aussi de retrouver les réponses aux questions stratégiques du parfait sapeur : « comment s’habiller comme un vrai gentleman ? », « comment être bien habillé pour appartenir au cercle des sapeurs ? », « comment harmoniser ses couleurs ? », « comment porter un costume ? » ou « comment nouer le nœud de sa cravate ou choisir ses accessoires ? ».

Toutes choses qui inclinent à poser et se poser la véritable question : « La mode, c’est quoi, ça vient d’où et ça sert à quoi ? ». Difficile de trouver une définition concise et précise de cet univers infini, communautaire et à la fois très personnel. Mais pour aller vraiment vite, on pourrait dire que la mode, c’est la nouveauté, l’originalité, parfois même une provocation contre l’ordre établi. En rupture avec les traditions, c’est un précieux indicateur de l’évolution de notre société.

En s’intéressant de plus près à ce phénomène culturel, on découvre un mouvement d’une grande complexité, traversé par des enjeux socio-économiques, politiques et culturels singuliers.


Jeunesse en quête de repères
Une richesse mise en lumière par le romancier et essayiste franco-congolais Alain Mabanckou.

Et qui vaut aussi bien pour les tenants de la SAPE que pour tous les férus de la mode : « Si d’aucuns perçoivent la SAPE comme un simple mouvement de jeunes qui s’habillent avec un luxe ostentatoire, il n’en reste pas moins qu’elle va au-delà d’une extravagance gratuite. Elle est d’après les sapeurs une esthétique corporelle, une autre manière de concevoir le monde – et dans une certaine mesure, la revendication sociale d’une jeunesse en quête de repère ».


La mode se caractérise, de ce qui précède, par un principe d’affirmation, à travers lequel individus et groupes sociaux s’imitent et se distinguent en utilisant des signaux, vestimentaires ou associés.

Mode VS Fashion


Le français, et diverses autres langues avec lui, désigne par le terme de mode à la fois les canons périodiquement changeants de l’élégance vestimentaire et, plus généralement, les phénomènes d’engouement qui règnent sur le vêtement, mais également sur tout ce qui touche aux « apparences » (la parure, la décoration, les manières, l’intonation, etc.) en tant qu’elles sont dotées d’un pouvoir d’expression. La langue anglaise distingue au contraire fashion, la mode semi-institutionnalisée, socialement approuvée, dont le type est la mode vestimentaire, et fad, l’engouement futile et quelque peu subversif, lui-même distingué de l’engouement en général (craze).

Il est remarquable de constater que le terme de mode semble manquer à certains auteurs anglo-saxons, qui parlent de « fad and fashion », tandis qu’au contraire certains auteurs français s’appuient sur la langue anglaise pour distinguer la mode au sens de fashion et la mode au sens de fad.

De la soumission de l’individu aux normes collectives
Depuis le XVe siècle, la mode alimente un flot continu de discussions morales, sociales, esthétiques, philosophiques, qui s’amplifie au XIXe et au début du XXe siècle.

Des écrivains (Carlyle, Baudelaire, Mallarmé, Oscar Wilde, Proust), des sociologues et des anthropologues (Spencer, Sumner, Tarde, Veblen, Goblot, Simmel, Sapir) la prennent alors pour thème de réflexion, voyant en elle soit une modalité transitoire du style, une création futile mais attachante, soit une pourvoyeuse de nouveauté, gaspilleuse d’énergie, mais capable d’ébranler la tradition et les mœurs, pour le meilleur et pour le pire, soit, surtout, un témoignage privilégié du comportement de l’homme en société et en particulier de la soumission de l’individu aux normes collectives.


ADAM SHALOM

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